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Auroville #4 : l’eau et l’énergie, naturellement durables

En Inde du Sud, l’accès à l’eau est une question aussi cruciale que celle de l’assainissement. Et la demande d’électricité est en plein boum. Dès sa fondation, Auroville s’est penchée sur la gestion des fluides avec une ambition phare : recycler et renouveler pour faire écosystème. Smart et résilient avant l’heure.

 

Pendant les 30 premières années d’Auroville, priorité était donnée à la reforestation afin de stopper l’érosion continue de la terre. Capter les eaux de la mousson d’octobre-novembre pour irriguer les plantations d’arbres était l’impératif. De nombreux bassins pour recueillir les eaux de ruissellement et des canaux d’irrigation furent creusés, le plus souvent à coups de pioche. 2 millions d’arbres plantés plus tard – sachant qu’avec 1 arbre planté, 3 autres vont pousser naturellement – l’état des nappes phréatiques s’est considérablement amélioré. Bonne nouvelle pour l’eau potable, puisque c’est dans ces nappes que l’on puise pour boire et cuisiner.

Bassins et canaux

Aujourd’hui c’est à Sadhana Forest, une émanation d’Auroville à quelques kilomètres de la ville centre, que l’on peut se rendre compte de ce que devait être la vie des pionniers aurovilliens il y a 50 ans. La reforestation est de nouveau à l’œuvre et la gestion des eaux radicale : un ingénieux système tout à fait artisanal à base d’une bouteille (plastique) et de tiges de coton permet d’arroser un arbre en utilisant seulement 2 litres en 2 semaines. Bassins de rétention et canaux sont omniprésents y compris et surtout autour des toits pentus des huttes où ruisselle l’eau de pluie. Et, tout, absolument tout y compris les déchets organiques humains est récupéré. Notons que Sadhana Forest a essaimé à Haïti et au Kenya, (plus d’information sur leur site)

Photeau

Les eaux usées sont traitées par filtre anaérobie, processus chimique biologique et naturel qui s’élabore dans les bassins successifs de sédimentation et décantation. Le système serait amélioré par le dispositif DEWATS (decentralised wastewater treatment with vortex system), le tourbillon du vortex optimisant le rendement. Le savoir-faire d’Auroville s’exporte en Inde du Sud ; le dispositif équipe par exemple l’hôpital de Chennai, ainsi que plusieurs zones urbaines à Bangalore, Coimbatore et Vijayawada dans l’Andhra Pradesh.

L’équilibre reste cependant fragile : l’absence totale de mousson en 2016 a révélé les limites du modèle alors même que la ville voudrait accueillir 15 fois plus d’habitants qu’aujourd’hui. Plus que jamais, il s’agit de privilégier l’économie de la ressource.

Le soleil et le vent

L’un des équipements iconiques d’Auroville est la Solar Kitchen dont la construction fut achevée en 1997. Comme son nom l’indique, cette cuisine centrale qui délivre 1000 repas (végétariens) par jour, dont la moitié aux écoles, fonctionne autour d’un four chauffé par une large parabole solaire.

Solar kitchen

Dès le début des années 1990, le solaire s’est déployé à Auroville, notamment pour l’alimentation électrique des pompes à eau. L’Auroville Energy Group installe ainsi, entre 1997 et 2003, 2000 pompes solaires en Inde du Sud dont 200 à Auroville. Pour leur fourniture en électricité, plusieurs communautés d’Auroville ont choisi de ne pas se raccorder au réseau de l’EDF local, par souci d’autonomie et aussi parce qu’il est très coûteux de tirer une ligne conventionnelle. Le cyclone Thane de 2011, en privant la région d’électricité pendant près d’un mois, a montré que l’autoproduction avait du bon. Et la baisse du prix des panneaux solaires contribue à leur démocratisation. L’éolien est l’autre ENR utilisée à Auroville : une trentaine d’éoliennes sont installées sur les 20 km² du territoire et servent notamment au pompage de l’eau

Alors smart ou pas smart ? Malgré le bilan annoncé plus qu’auto-suffisant (une couverture des besoins à 160 % par les ENR), les longues coupures ne sont pas rares et l’on se surprend à entendre alors le vrombissement des générateurs prendre le relais avec émanations d’essence à la clé. La gratuité de l’énergie pour le pompage de l’eau a en outre le même effet pervers que celle de l’électricité accordée par le gouvernement aux agriculteurs : l’eau est consommée sans compter. Les vertes pelouses qui entourent le Matrimandir signalent également que l’arrosage intensif n’a pas totalement disparu. Enfin, on reste dubitatif devant l’eau biodynamisée, enrichie de sons et de vibrations, censée devenir source de jouvence…

Mais tout de même… On ne peut qu’applaudir la fourniture d’eau portable aux villages. On se réjouit devant les stations de recharge pour véhicules électriques, mobylettes, scooters et petites voitures. On s’étonne devant les boucles locales d’énergie, la collecte de données effectuées par des compteurs bidirectionnels ou par le WattMon, un monitoring spécialement adapté pour le solaire, et désormais exporté dans 25 pays. Si le zero waste ou la neutralité carbone sont loin d’être atteints, la petite ville, forte seulement de 2500 habitants, poursuit inlassablement sa vocation de laboratoire urbain.